Source : Warzée F. DETIC. Interview réalisée par ValBiom le 14.10.2020 ; Vandeputte J. IAR – Le pôle de la bioéconomie. Interview réalisée par ValBiom le 23.06.2020.
En quoi la production de nouvelles molécules tensioactives répond-elle aux attentes actuelles des consommateurs, et par conséquent, des industriels ?
Jacky Vandeputte : Les tensioactifs entrent dans la formulation de nombreux produits : détergents, cosmétiques, peintures, produits phytosanitaires… Le marché des tensioactifs représente le secteur des spécialités biosourcées le plus développé avec 25 % de taux de pénétration. Cette attractivité est liée à leur image positive, leur biodégradabilité supérieure ou encore leur moindre agressivité sur la peau, particulièrement en cosmétique (60-80 %). Ils constituent une alternative aux produits pétroliers et permettent de remplacer certaines substances jugées préoccupantes, avec un meilleur profil toxicologique et environnemental.
Frédéric Warzée : Il n’existe actuellement pas de statistique pour la Belgique mais les tendances sont relativement similaires. Je note tout de même qu’il y a un grand dynamisme côté flamand pour le développement de biotechnologies. Mais, dans l’ensemble, le belge est un grand demandeur de produits biosourcés finis.
En termes de production, le prix des matières premières biosourcées reste un frein au développement… En particulier dans le domaine de la détergence. En cosmétique, le consommateur est en général prêt à payer des produits un peu plus chers. En détergence, une fausse idée circule encore : les détergents biosourcés seraient moins performants que leurs équivalents pétrosourcés. Ce qui est faux bien entendu. Le consommateur est donc plus réticent. Néanmoins, il y un changement de mentalité positif dans ce secteur applicatif également.
La chimie du végétal est-elle un secteur à fort potentiel en France, en Wallonie et en Flandre ?
Jacky Vandeputte : Avant même que la chimie du végétal ne devienne à la mode à partir des années 80, les régions Grand Est et Hauts-de-France ont misé sur ce secteur, avec la mise en place de centres techniques comme Extractis (ex CVG) ou encore de centres de recherche privés comme ARD, qu’on appelait communément à l’époque les bioraffineries. Au-delà de la chimie du végétal, ces deux territoires ont fait de la bioéconomie un pilier majeur de leur développement économique.
La région Hauts-de-France est riche d’un tissu d’acteurs présents sur l’ensemble de la chaîne de valeur de la bioéconomie (27.000 agriculteurs, semenciers, entreprises leaders sur le secteur, pôles de compétitivité, plateformes technologiques), de ressources abondantes et diversifiées (2 millions d’hectares de terres consacrés à l’agriculture et 450.000 hectares à la forêt, vaste façade maritime…), mais aussi de filières à potentiel pour bâtir un véritable leadership (1ère région agroalimentaire française, des leaders mondiaux dans les biotechnologies, 1ère région de transformation et de valorisation des produits de la mer, région pionnière de la filière insectes…).
La bioéconomie pèse de plus en plus lourd dans le développement économique régional puisqu’entre 2014 et 2017, à chaque euro investi par la Région dans le secteur, ce sont 7 euros qui ont été injectés dans l’économie régionale. La bioéconomie représente plus de 85.000 emplois en Hauts-de-France.
En Grand Est, les atouts sont également nombreux pour devenir un territoire de référence en la matière. La région possède une biomasse remarquable (+ de 50 % du territoire consacré à l’agriculture avec près de 50.000 exploitations, près de 2 millions d’Ha de forêt et 2e région en récolte de bois, des filières d’excellence), un tissu industriel varié et actif (bioraffineries territoriales de Pomacle-Bazancourt, pôle européen du chanvre, grands noms industriels…), des structures R&D innovation reconnues (IAR, CEBB, FRD…), des marchés d’envergure mondiale et de croissance (agriculture/sylviculture/viticulture, agroalimentaire/alimentation animale…). À noter que 111.800 emplois sont liés à la filière agricole/agroalimentaire.
Hauts-de-France et Grand Est visent toutes deux le leadership européen de la bioéconomie. Dans cette optique, la Région Hauts-de-France a adopté son Master Plan de la Bioéconomie en 2018 pour une filière compétitive, durable, créatrice de valeur ajoutée et d’emplois. La Région Grand Est a quant à elle voté sa stratégie bioéconomie fin 2019, au service de la croissance et de la compétitivité des entreprises de son territoire.
Frédéric Warzée : Le potentiel est important en Belgique également. Le pays – Bruxelles en particulier – a un atout : il héberge de nombreux sièges européens de multinationales qui opèrent un switch vers le biosourcé. Parallèlement, plusieurs PMEs belges parviennent à concurrencer les grands groupes en se positionnant majoritairement sur le marché de la chimie verte.
En quoi l’approche du projet de recherche ValBran est-elle novatrice ?
Jacky Vandeputte : Il existe déjà toute une gamme de tensioactifs biosourcés (sucroesters, APG, lipo-aminoacides…). La région Grand-est a innové il y a une dizaine d’années avec le développement des premiers tensioactifs à base de son de blé et la mise en place de la société Wheatoleo. Le projet ValBran vise à valoriser les polysaccharides abondants contenus dans le son de blé (cellulose et hémicelluloses) sous la forme de molécules tensioactives.
Son caractère innovant est lié au développement d’un procédé de biotechnologie et l’emploi d’enzymes non seulement pour fractionner les sucres mais aussi pour élaborer les tensioactifs et les fonctionnaliser. Il fait appel à toute une cascade de procédés et notamment de séparation / purification pour aboutir à de nouvelles structures originales au service d’applications telles que l’alimentation (additifs alimentaires), la détergence, la cosmétique ou encore les phytosanitaires.
Frédéric Warzée : Ce projet anticipe les intérêts des industriels. En effet, sur le court-moyen terme (d’ici 5-10 ans), on s’attend à ce que les entreprises belges et françaises quittent le pétrosourcé pour s’orienter vers la biomasse, avec une préférence pour les déchets agricoles et les connexes de l’alimentation. Les industriels sont conscients que l’agriculture se concentre sur la production massive d’aliments pour satisfaire la demande mondiale. Dès lors, produire des tensioactifs à partir des déchets du food devient très intéressant.
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[1] IAR est le Pôle de la Bioéconomie français, actif en Europe et à l’international.
[2] DETIC est l’association belgo-luxembourgeoise des producteurs et des distributeurs de cosmétiques, détergents, produits d’entretien, colles et mastics, biocides et aérosols.